mercredi 7 octobre 2009

Le fil(m) de la vie

Réaliser un film ou faire un enfant…
De la création à la procréation.
Obstacles, handicaps et espérances.
Je voudrais réaliser un film imaginé dans ma tête. Il serait l’œuvre de ma vie, mon « enfant ». Je rêve que le moindre détail atteigne la perfection des images que je m’en suis faites. Je voudrais le meilleur et j’espère qu’il sera apprécié par le monde entier.
L’histoire me semble bien bâtie et le projet solide, plein de promesses, mais je dois m’en remettre à la collaboration avec un scénariste qui l’écrira et longue sera la gestation pour qu’enfin il naisse.

Lorsqu’un enfant est conçu avec l’ambition de l’amour, tout parent l’imagine dans le même esprit. Avant même sa naissance, il sera une image rêvée, le reflet du bonheur, la projection d’un film avec une “Happy End”.
Si concevoir un enfant revient à s’en remettre à la grande loterie de la vie, concevoir un film revient à s’en remettre à la confiance placée en la qualité de chacun des intervenants et à ce qu’ils seront prêts ou à même de vous donner : du scénariste au producteur, des acteurs à chaque membre des équipes et à chaque étape.
Dans la réalité de ce long processus, il est rare d’obtenir toutes les conditions rêvées. Un film se compose tout au long de sa réalisation. Des obstacles et handicaps apparaissent souvent. Que ce soit un scénario décevant, un comédien espéré que l’on a pas, des moyens techniques ou un nombre de jours de tournage insuffisant, des conditions climatiques capricieuses, etc. . Et puis, il y a toute l‘alchimie parfois incontrôlable d’une dynamique de groupe qui influera sur le bon déroulement des collaborations.
Le brillant et consciencieux réalisateur Terry Gilliam* ne me contredira pas.
Mais au final, la paternité me reviendra en qualité de réalisateur, qu’il soit donné réponse à toutes mes attentes ou qu’il faille composer avec de très nombreuses restrictions.
Et au final, le film m’apparaîtra imparfait.
J’y verrai tous les défauts. Tout ce qui n’a pu correspondre à ce qui était gravé dans ma tête. Et les autres feront de même, sans chercher à comprendre que ces imperfections sont inhérentes à l’aventure de la conception. Je me sentirai responsable, presque « coupable ».
J’en oublierai la somme des innombrables petites « réussites », les scènes bien faites, ou les exploits accomplis pour faire exister le film au mieux, au plus près de mes espérances. Je serai déçu et chaque impression négative d’un spectateur me déchirera les entrailles et me renverra vers une paternité qui n’était pas celle que j’avais imaginée et dont, aujourd’hui, je suis responsable.
Lorsqu’un enfant naît, porteur de déficiences, le ressenti d’un parent n’est autre, hormis sans nul doute, qu’il ne maîtrise en rien le processus de la procréation. Des pages entières du scénario sont arrachées. Des scènes entières, consciencieusement imaginées, sont supprimées. Le pire des scénarios est imposé.
Le diagnostic fait oublier que la naissance d’un enfant, qu’il soit atteint de déficience, de différence ou non, n’est que le début du processus de sa réalisation.
Si le début du scénario de la vie n’est pas celui que l’on avait imaginé, l’enfant reste tout autant une histoire en devenir et à écrire, un film à réaliser, à sa mesure.

Mais pour ce faire, il est impératif de trouver l’énergie pour se retrousser les manches, embrasser et s’approprier le “sujet” et par-dessus tout, de trouver, tout autour de soi, une équipe prête à vous aider à relever le défi.
Il m’est arrivé, durant ma carrière, de devoir diriger des films sur base de scénarios jugés très imparfaits pour ne pas dire plus... Je réalise combien sans aide, sans bonne volonté des équipes, il m’aurait été impossible de mener à bien ces aventures. Et de garder en souvenir l’incroyable épopée, quel qu’en soit le résultat, avec le plaisir et la fierté d’avoir essayé. Sans soutien et espoir, je n’aurais jamais trouvé l’énergie et la force pour tenter de faire simplement le meilleur film que je puisse faire et de me battre pas à pas pour lui.
De la même manière qu’il est impossible à un réalisateur de tenir tous les rôles, que ce soit physiquement ou compte tenu des compétences de chacun, de la même manière des parents ont besoin d’être entourés, aidés et soutenus.

Et puis, comment appréhender un film si l’on se focalise uniquement sur les problèmes, obstacles et autres aspects négatifs ?
Or le diagnostic, tel un verdict impitoyable, occulte trop souvent toutes les autres facettes de l’enfant, au point de faire porter à son cou l’étiquette de « handicapé », tel un carcan, qui masque toute ses richesses, toutes ses autres potentialités jusqu’à la négation de l’être.
Comment pourrait-on envisager un avenir positif lorsque l’exposé de la situation – le diagnostic – est présenté sous l’unique prisme de l’incapacité, de la déficience et leurs perspectives handicapantes ?
Lorsque mon fils est né et que le diagnostic fut posé quatre mois après sa naissance, il m’a fallu du temps pour appréhender ce scénario imprévu et en accepter les défis innombrables.
Il m’a fallu du temps pour me rappeler que le pire des scénarios peut engendrer le plus beau des films, que la qualité ne se mesure pas aux moyens mis à disposition, mais que pour cela, il faut réécrire et adapter l’histoire avec ce qui est imposé.
Il m’a tout simplement fallu du temps pour comprendre que la création, au même titre que la procréation, n’était pas une compétition ; que les jugements et valeurs sont des prismes pervers et variables selon l’angle choisi ; que seule la prétention égocentrique peut être critiquée voire jugée ; que le quotient intellectuel est une valeur construite selon une norme douteuse qui ne tient nullement compte de la faculté d’aimer et plus simplement... d’Etre.

Il m’a enfin fallu du temps pour comprendre que Lou n’était pas un “handicapé”, mais une personne unique et riche de sa réalité, avec ses difficultés liées à sa cécité et à sa différence mentale, qui génèreront de nombreux handicaps proportionnels à l’incapacité de la société de tout mettre en œuvre pour réduire les obstacles.
C’est pourquoi il convient pour lui et pour toutes les autres personnes déficientes ou différentes, de leur donner la place qui leur revient : les mêmes droits, la même accessibilité et des moyens adaptés.
C’est pourquoi il est indispensable que dès l’annonce du diagnostic, la société offre à ces familles aides, soutiens et accompagnements, afin qu’une “équipe” puisse permettre à l’enfant différent et/ou atteint de déficience d’être l’acteur de son propre rôle.
C’est pourquoi, nous, parents, devons relever la tête, endosser notre rôle de réalisateur et nous battre, construire ou rejoindre des équipes pour défendre et revendiquer le mieux-être possible de nos enfants.

*Terry Gilliam : réalisateur de « Brasil », « Le Baron Munchausen » (…) et de « Don Quichotte » dont le tournage sera arrêté suite à de nombreux incidents.

5 commentaires:

Berlebus (alias Luc Boland) a dit…

Je n'ai hélas pas le temps d'envisager de faire un quelconque nouveau film, Andrée. C'est juste une métaphore.
Quant à élever un enfant : oui, c'est la plus belle réalisation que l'on puisse faire, loin des paillettes et du glamour.

Anonyme a dit…

pourtant je pense que tu réaliseras ce film... va savoir pourquoi, je le sens mais ton plus beau film, c'est bien le film de ta vie et ce merveilleux témoignage de Lou, mais je reste persuadée que tu nous offriras encore de belles images... le reste suivra...
tendresses à tous

Valérie C a dit…

Merci Luc pour cette superbe métaphore qui résume si bien votre philosophie. Elle devrait d'ailleurs être diffusée largement face à des proches de péroné es en situation de handicap ne parvenant pas à accepter la réalité sous toutes ses facettes!

Valérie C a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Valérie C a dit…

Grrr, lire personnes en situation de handicap, merci à mon smartphone qui m'échappe et écrit à ma place ;-)